Il s’était levé de bon matin, avant l’aube. Il devait se rendre au plus profond de la forêt pour s’y purifier et y demander l’aide du père des esprits. Les idées se bousculaient dans son crâne. De toute sa vie, il n’avait jamais connu un tel danger. Pourtant, il devait trouver une solution, la survie de son peuple sur ce monde en dépendait.
Jusqu’à présent il avait toujours guidé les siens avec sagesse et bravoure ; il avait su les mener à la victoire contre tous leurs ennemis. Sous sa férule, son peuple s’était affranchi de la tutelle des gobelours, derniers serviteurs de la tyrannie des anciens. C’était lui encore, qui avait assuré la victoire contre la coalition des tribus gobelines.
Mais désormais, il doutait. De nouveaux ennemis étaient apparus, peu nombreux, mais très puissants et animés par une avidité sans limites. Toutes les ressources de Grand-mère Nature semblaient impuissantes à étancher leur soif : ils coupaient les arbres, moissonnaient baies et champignons, massacraient cerfs et sangliers. Les chasseurs eux-mêmes avaient été pris pour cible et s’aventurer en forêt devenait de plus en plus risqué. Même les sources magiques les attiraient comme des mouches et que faisaient les esprits ? Rien ! Ils semblaient se satisfaire de la situation, avaient laissés ces intrus, ces barbares, tracer leurs serpents de pierres sur les terres ancestrales et bâtir d’énormes huttes de pierres également.
Il avait pris la seule décision qui s’imposait : il avait fait entrer en guerre sa tribu contre les intrus, mais sans succès. Chaque ennemi abattu était remplacé par un autre, et leur sauvagerie au combat était sans égale. Rien ne semblait devoir les arrêter.
Que pouvait-il faire ? Il était au crépuscule de sa vie, son bras était faible à présent, seule son aura de grand chef de guerre lui valait encore le respect des siens. Les jeunes guerriers murmuraient qu’il était trop vieux pour les mener à la victoire et déjà beaucoup ne l’écoutaient plus. Demander l’aide des anciens dieux ! Voilà ce qu’ils proposaient !
Avaient-ils oublié la tyrannie des anciens ? Comment ils avaient maintenus leur peuple dans la fange, à l’état de bêtes pendant des siècles ? N’avaient-ils nuls souvenirs des dizaines d’années de guerre qu’il avait fallu pour renvoyer ces créatures chtoniennes sous la terre ?
L’avenir lui semblait bien sombre, mais il devait sauver son peuple du danger comme il l’avait toujours fait. C’est pour cette raison qu’il se rendait auprès de Grand-père Arbre, le père de tous les esprits pour lui demander son avis et son aide. Arrivés devant le chêne séculaire, il se dévêtît, frotta son vieux corps sec à l’aide de feuilles de tabac, avant de s’ouvrir la paume avec son couteau et de laisser couler un peu de sang sur les racines noueuses de l’arbre. Après avoir déposé son arme, il s’agenouilla et entama la lente mélopée propre à se concilier la faveur des esprits. La clairière s’emplit alors des échos de son chant qui monta paisiblement vers les frondaisons millénaires de Grand-père Arbre.
DZANG !
La douleur fût fulgurante. Il ressentît un choc violent dans le dos, juste entre les omoplates. Il tenta de se relever, mais ses maigres jambes refusèrent de le porter. Ses forces l’abandonnaient trop vite, il ne voulait pas mourir, pas comme ça, pas maintenant ! Il était Haruk tête de fer, le plus grand chef de guerre que la nation orque est jamais connue ! Il devait sauver son peuple ! Pourtant, rien à faire, sa vue se brouillait, déjà ses membres ne répondaient plus. Un flot de sang emplît sa gorge et il mourut dans un dernier râle.
« Joli coup Seam’ ! » dit Yashan en sortant du sous-bois.
« Aucun mérite vraiment. Il était nu et immobile, un gobelin aurait abattu cet orc ! »
Seamus ricana en retirant son carreau du corps sans vie. Yashan le retourna d’un coup de bottes dans le ventre.
« Diantre ! C’était un vieillard ! » s’écria t’il.
« Quelle importance ? Son scalp ne vaut pas moins cher. Et puis, vieux ou pas, c’est un ennemi de Fort Espérance non ? »
Leur besogne accomplie, les deux hommes reprirent la route menant à la ville sans se retourner.
« Vraiment, ce nouveau monde grouille de bêtes immondes. » dit Seamus à son compagnon.
« il est vrai, mais toi, moi et tous les autres à Fort Espérance œuvrons à le rendre meilleur. »
Ce fût là toute l’épitaphe d’Haruk tête de fer, le plus grand chef de guerre que la confédération orque est jamais connue…